La Covid-19 et la vie consacrée: P. Arturo Sosa (jésuites): «La démocratie peut être victime de la pandémie»

18/12/2020

Interview de Riccardo Benotti - Agence SIR - 15 décembre 2020

Photo Siciliani-Gennari/SIR
Photo Siciliani-Gennari/SIR

« Dans de nombreux pays, la pandémie est devenue une occasion pour accélérer les tendances autoritaires des gouvernements et pour suspendre les processus démocratiques dans la prise de décisions ». Telle est la conviction du père Arturo Sosa Abascal, préposé général de la Compagnie de Jésus et président de l'Union des supérieurs généraux (USG), qui annonce, entre autres, le souhait des religieux de vivre une expérience synodale de la vie consacrée, suivant le modèle de ce que le Pape propose à l'Église tout entière.

« La démocratie peut être victime de la pandémie si nous ne sommes pas capables de saisir cette occasion pour approfondir la conscience civique et chercher de façon collective et effective le bien commun, en sortant de la logique des intérêts individuels de personnes, groupes, catégories sociales ou nations afin de nous accorder sur le plus grand bien possible pour toute l'humanité, en plaçant les plus faibles à la première place dans les décisions complexes qui doivent être prises ». Le père Arturo Sosa Abascal est le 30ème successeur de saint Ignace de Loyola à la tête de la Compagnie de Jésus et, depuis 2018, le président de l'Union des supérieurs généraux (USG).

Vous avez dit à plusieurs reprises que la démocratie pourrait être l'une des victimes de la pandémie.

Au cours des dernières années, la démocratie a été fortement menacée par l'affaiblissement de la conscience civique dans les sociétés où elle était présente, et par le manque d'efforts visant à la promouvoir dans les autres. La prolifération de populismes de différentes tendances et de fondamentalismes revêtant la forme d'idéologies ou distorsions « religieuses » ont été la cause de cet affaiblissement.

Dans de nombreux pays, la pandémie est devenue une occasion pour accélérer les tendances autoritaires des gouvernements et pour suspendre les processus démocratiques dans la prise de décisions.

Quelle est votre position par rapport à l'accès au vaccin qui sera prochainement distribué ?

La distribution du vaccin révèlera s'il existe une volonté de justice et une responsabilité sociale à prendre vraiment soin des plus faibles de la société. Ce sera un moyen de prouver l'authenticité de la volonté démocratique des États nationaux et des structures internationales, comme l'Union européenne. Les modalités de production et de distribution du vaccin seront une marque évidente du monde après-covid. La logique du marché avec ses profits va-t-elle dominer, ou bien une place sera faite à la logique de la justice sociale ? Cette occasion, servira-t-elle à combler un peu les fractures sociales ou bien à les agrandir ? Sera-t-elle exploitée pour faire la « politique meilleure » que le pape François propose dans Fratelli tutti, celle qui recherche effectivement le bien commun ?

Depuis 10 mois, le monde entier est aux prises avec une pandémie qui a déjà fait près d'un million et demi de morts. Comment les religieux vivent-ils cette période ?

Premièrement, comme toute personne, religieuse ou pas, nous avons été surpris par la pandémie, par sa diffusion et par son agressivité. L'impact a été si fort sur notre vie qu'il nous a obligés, d'une part, à surmonter la surprise, les peurs et les difficultés pour nous-mêmes, pour nos familles, pour les personnes que nous essayons de servir... D'autre part, toute planification d'œuvre apostolique et de vie normale des communautés s'est effondrée.

Ce qui s'est passé nous a rappelé notre fragilité et nous a conduits à boire à nouveau au puits de l'eau vive que sont nos charismes, ce qui donne un sens et un fondement à notre vie.

Nous avons eu aussi l'opportunité de redécouvrir nos voisins, ceux qui habitent à côté. Les communautés ont passé plus de temps ensemble, ont prié de façon différente et ont ouvert les yeux face à la réalité qui nous entoure, en découvrant la richesse humaine du voisinage et le contexte dans lequel elles vivent.

De nombreuses congrégations sont directement engagées dans le domaine de la santé, d'autres ont dû repenser leur mission. L'impact avec le coronavirus a-t-il été fort ? 
D'énormes efforts ont été déployés pour adapter notre service apostolique aux conditions imposées par la pandémie. Nous avons donné beaucoup de place à la créativité dans tous les domaines afin de poursuivre l'œuvre éducative, pastorale et dans tous les autres domaines dans lesquels sont engagées les congrégations religieuses. Nous ne nous sommes pas repliés sur nous-mêmes, ni limités à nous protéger... Nous avons pris une énorme quantité d'initiatives, et des plus variées, afin de « donner un coup de main » et prêter attention à ceux qui ont été les plus frappés par la situation causée par la pandémie. Nous avons aussi mené, dans les limites de nos possibilités, une réflexion sur l'expérience vécue, en pensant surtout comment contribuer à la transformation de la société.

Combien de religieux sont morts dans le monde à cause de la Covid ?

Beaucoup, trop... comme dans l'ensemble de la société civile. Les plus fragiles en raison de leur âge, de leur santé ou de leurs conditions de vie. Je ne saurais pas vous donner un chiffre exact, parce que nous n'avons pas reçu d'informations spécifiques, mais surtout parce que la pandémie n'est pas terminée, et ses conséquences non plus.

La crise que nous vivons pourra-t-elle être un temps propice à la vie consacrée, même en termes de vocations ?

Je ne crois pas que l'on puisse établir un rapport entre la crise de la pandémie et une augmentation des vocations. Celles-ci dépendent de nombreux facteurs, à commencer par la cohérence de notre vie avec le charisme que nous cherchons à incarner afin de devenir un « modèle » de vie attirant pour les jeunes d'aujourd'hui.

Prions avec foi et espérance pour que le Seigneur envoie des ouvriers dans sa moisson. C'est le Seigneur qui appelle.

À nous la tâche d'aider à entendre cet appel et à accompagner les processus de discernement vocationnel de ceux qui l'entendent. Nous dépendons plus de la qualité des vocations que de leur quantité. Nous avons besoin de personnes consacrées de valeur. Si elles sont nombreuses, tant mieux.

De la dernière Assemblée semestrielle de l'USG est ressorti le souhait de vivre une expérience synodale de la vie consacrée, suivant le modèle de ce que le pape François a proposé à l'Église tout entière.

Nous sommes convaincus que vivre dans notre vie l'expérience de la synodalité nous permet de contribuer davantage à l'Église synodale rêvée par le Concile Vatican II, un rêve que le pape François vit intensément et qu'il veut partager avec tout le Peuple de Dieu qui chemine suivant les pas de notre Seigneur Jésus.

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